RONGEURS ET LAGOMORPHES

RONGEURS ET LAGOMORPHES
RONGEURS ET LAGOMORPHES

Rongeurs et Lagomorphes sont deux ordres de Mammifères euthériens que l’on réunit, depuis Linné (1758), dans le superordre des Glires. Ces deux ordres ont très précocement divergé dans leur évolution à partir d’une souche commune qui se situe sans doute au Paléocène. Quelques caractères, et particulièrement cette aptitude tout à fait générale à ronger que l’on ne retrouve pas chez d’autres Mammifères, autorisent ce rapprochement entre les deux ordres. Si les Lagomorphes, ou Duplicidentés, ne comptent qu’une douzaine de genres (lièvres, lapins...), les Rongeurs, ou Simplicidentés, au contraire, sont extrêmement diversifiés (écureuils, rats, porcs-épics...) et présentent des adaptations très variées, de telle sorte qu’ils comptent à eux seuls plus d’espèces que tous les autres ordres de Mammifères réunis. Par ailleurs, certaines espèces, extrêmement prolifiques, possèdent un nombre considérable d’individus. On est, dans ces conditions, autorisé à considérer comme une remarquable réussite la longue histoire évolutive des Glires.

Caractères généraux

Les Rongeurs et les Lagomorphes ne comptent que des animaux de taille petite ou moyenne, le plus grand représentant actuel de cet ensemble, le cabiai (espèce sud-américaine), ne dépasse pas la dimension d’un gros chien.

L’appui des membres sur le sol est du type plantigrade ou semi-plantigrade. Les doigts sont au nombre de quatre ou cinq au membre antérieur, et de trois à cinq au membre postérieur. La dernière phalange des doigts et des orteils est toujours pourvue d’une griffe.

La lèvre supérieure et les narines constituent généralement chez les Glires une structure complexe: le rhinarium (fig. 1), dont les réalisations, très différenciées dans le détail, ont en commun la présence d’un profond sillon coupant de bas en haut la lèvre supérieure, très caractéristique (bec-de-lièvre). La prédominance de l’odorat sur les autres sens classe les Glires dans la catégorie des Mammifères macrosmatiques.

La denture chez les Lagomorphes et les Rongeurs possède trois caractères communs très nets:

– les incisives, en nombre réduit (aux deux mâchoires), sont des dents puissantes, de forme incurvée, à croissance continue, usées en biseau à leurs extrémités libres par un frottement quasi permanent des inférieures sur les supérieures (fig. 1);

– les canines sont toujours absentes;

– un grand espace libre, appelé barre ou diastème, sépare les incisives des dents jugales.

Mais, alors que les incisives sont toujours au nombre de deux en haut et en bas chez les Rongeurs, les Lagomorphes possèdent de plus une seconde paire d’incisives supérieures; cette seconde paire, de dimension réduite, est placée en arrière de la première (fig. 1).

Le tube digestif comporte un estomac non compartimenté, et un cæcum, souvent très volumineux. La physiologie de la digestion est caractérisée par la cæcotrophie: les aliments parcourent deux fois consécutivement la totalité du tube digestif, et l’animal reprend, à leur sortie de l’anus, des pelotes ou cæcotrophes, qu’il avale, sans les mâcher. Cela permet sans doute de récupérer dans les fèces certaines vitamines élaborées au niveau du cæcum par les bactéries symbiotiques (fig. 2).

L’appareil reproducteur se signale par ses traits archaïques, surtout chez la femelle où l’utérus est toujours nettement bifide. Le placenta discoïdal est du type hémochorial. Chez le mâle, les testicules ne descendent, dans le cas le plus général, que provisoirement dans le scrotum pendant la période du rapprochement sexuel.

Chez la plupart des espèces, la fécondité est remarquable. La brièveté de la gestation, la précocité de la puberté, le grand nombre de jeunes par portée et la possibilité quasi permanente des fécondations en sont responsables. Cela, combiné à des facteurs écologiques périodiques, entraîne parfois pour certaines espèces des pullulements spectaculaires.

Les Lagomorphes

Le pelage des animaux de cet ordre (lièvres, lapins, pikas...) est constitué d’une fourrure abondante, faisant pour diverses espèces l’objet d’une exploitation pour la pelleterie. L’élevage a permis de sélectionner chez les lapins des races particulièrement intéressantes de ce point de vue. Certaines espèces de lièvres, dit variables, ont une robe blanche en hiver, fauve en été. Des expériences en laboratoire ont précisé que cette modification dépendait de la quantité de lumière à laquelle l’animal était exposé.

En plus du caractère dentaire déjà cité, les Lagomorphes se différencient aussi des Rongeurs vrais par le mouvement transversal de la mandibule, qui se combine au cours de la mastication au mouvement d’arrière en avant commun à tous les Glires. La cavité glénoïde est en conséquence élargie transversalement chez les seuls Lagomorphes pour permettre ce type de mouvement, qui leur est particulier.

La totalité des Lagomorphes actuels se répartit en deux familles. Celle des Leporidœ comporte une douzaine de genres parmi lesquels figurent les lièvres d’Europe (Lepus europaeus ) et les lapins typiques du genre Oryctolagus . L’espèce O. cuniculus , originaire sans doute de la région méditerranéenne, a été domestiquée dès la fin des temps préhistoriques. La sélection aboutit aujourd’hui à reconnaître plus de cinquante races. La famille des Ochotonidœ est localisée dans le sud-est de la Russie, la plus grande partie du continent asiatique, l’Amérique du Nord (de la Californie à l’Alaska).

Les Rongeurs

La classification des Rongeurs a connu bien des aléas en raison du grand nombre de formes que cet ordre comporte, et aussi du caractère incomplet des connaissances paléontologiques. Après avoir attaché une importance toute particulière à la disposition des muscles masticateurs, la systématique ne retient plus aujourd’hui que la structure dentaire. Cette dernière approche est sans doute la plus fructueuse pour des spécialistes; elle a l’inconvénient d’être pratiquement impossible à exposer brièvement. On utilisera ici une classification plus ancienne, d’ailleurs adoptée par G. G. Simpson (1945), qui distingue trois sous-ordres dans l’ensemble des Rodentia : les Sciuromorphes, les Myomorphes et les Hystricomorphes.

Les Sciuromorphes

Le sous-ordre des Sciuromorphes comporte, à côté des écureuils, arboricoles et terrestres, les marmottes, les castors et des Rongeurs très primitifs, les aplodontes, vulgairement appelés castors de montagne et localisés dans les régions montagneuses de l’ouest de l’Amérique du Nord. Toutes ces formes recèlent bien des traits primitifs déjà présents chez leurs ancêtres de l’Éocène. Il est possible que ces groupes dérivent des Ischyromyoidea , un groupe de rongeurs nord-américains de l’Éocène. Cependant, certains auteurs considèrent que Sciuridés et Aplodontidés pourraient être issus d’un autre groupe de rongeurs nord-américains, les Sciuravides, qui apparaissent à l’Éocène inférieur.

Les écureuils vrais sont adaptés à la vie arboricole; les arbres leur offrent le gîte, constitué d’un nid édifié à la fourche des branches, et la nourriture, composée essentiellement d’écorces, de glands, de faines, etc.

De nombreuses espèces peuplent les régions septentrionales du globe. Un certain nombre de formes africaines et asiatiques mènent une vie arboricole: on rencontre cependant, en Afrique seulement, des écureuils terrestres.

Très proches des écureuils sont les marmottes, remarquables par la capacité d’hibernation. Chez les marmotte alpine, l’endormissement a lieu en automne, souvent en groupes de dix à quinze individus au fond d’un terrier. La période de léthargie dure jusqu’au printemps, interrompue normalement tous les vingt et un à vingt-huit jours pour permettre à l’animal de vider sa vessie en dehors du terrier. Au cours de l’hibernation, la température interne du corps tombe de 36 à 8 0C, la perte de poids corporel peut atteindre 25 p. 100. En cas de froid trop vif, l’animal élève brusquement sa température et se réveille.

Les spermophiles (Citellus ) d’Europe centrale, d’Asie et d’Amérique du Nord sont aussi des hibernants; chez certaines des cent quatorze espèces ou sous-espèces décrites, la période de léthargie correspond à la saison sèche.

Les chiens de prairie (Cynomys ), à l’allure de marmotte, sont des animaux communs de l’ouest des États-Unis, où ils constituent des colonies nombreuses. Leurs terriers, profonds et compliqués, sont marqués à la surface du sol par le monticule des déblais extraits (fig. 3). En cas de danger, le cri d’alarme jeté par un guetteur provoque la retraite immédiate dans leur abris de tous les individus de la colonie.

Les castors, animaux volumineux dont le poids peut atteindre 30 kg, sont bien adaptés à la vie aquatique: pattes postérieures palmées, queue énorme aplatie dorso-ventralement; narines et oreilles pouvant être obturées en plongée. Les constructions des castors, terriers ou huttes selon le biotope, ont toujours leur entrée située sous la surface de l’eau; une galerie d’accès conduit à une chambre d’habitation placée au-dessus du niveau de l’eau et aérée par une étroite cheminée. On sait que les castors barrent les cours d’eau, en aval de l’endroit où est construit leur abri, par des digues, de bois et de terre, continuellement entretenues et remaniées. Ces ouvrages peuvent atteindre des dimensions considérables; certaines, observées en Amérique, atteignaient 500 m de long et 4 m de haut. Le genre castor compte quatre espèces qui peuplent la plus grande partie de l’hémisphère Nord. Les castors étaient très communs en France jusqu’au XVIIIe siècle; les noms de lieu: Bièvre, Beuvron, Vibré, rappellent leur présence en bien des endroits. Aujourd’hui, seules subsistent quelques colonies non constructrices dans le cours inférieur du Rhône.

On classe aussi dans les Sciuromorphes les «écureuils volants» appartenant à la famille des Petauristinœ , qui sont capables d’effectuer des vols planés grâce à la membrane alaire (patagium) qui relie les membres antérieurs aux membres postérieurs. À cette famille, qui ne compte de représentants qu’en Amérique et en Eurasie, il faut ajouter les écureuils volants africains (Anomaluridœ ), d’affinité incertaine, mais qui semblent proches de certains rongeurs éocènes-oligocènes, les Théridomyidés, et que l’on peut regrouper avec eux dans l’ensemble des Théridomorphes.

Les Myomorphes

C’est dans le sous-ordre des Myomorphes que l’on rencontre les formes les plus communes, les plus cosmopolites et souvent aussi les plus nuisibles pour l’homme. Les Myomorphes semblent dériver d’un ancêtre du groupe souche des Sciuravidés, rongeurs nord-américains apparaissant à l’Éocène inférieur et disparaissant à l’Oligocène. Les Sciuravidés seraient également la souche des Cylindrodontidés, connus de la fin de l’Éocène à l’Oligocène de Mongolie et d’Amérique du Nord.

La superfamille des Muroidea compte tous les rongeurs à l’allure dite «murine», dont le rat est l’exemple typique. Les Muroidea (plus de 270 espèces) peuplent la quasi-totalité du globe; certaines d’entre elles sont ubiquistes. C’est le cas du surmulot (Rattus norvegicus ) et du rat noir (Rattus rattus ). Ces deux espèces se partagent différents biotopes, le surmulot, étant assez inféodé à l’eau, peuple préférentiellement les égouts, canaux, navires, etc., cependant que le rat noir affectionne les endroits secs et chauds. Indépendamment des destructions qu’ils causent par leur voracité, les rats sont de redoutables vecteurs de germes dangereux (peste, trichine, spirochètes). Leur destruction est activement poursuivie, mais leur énorme fécondité rend la tâche décourageante; un seul couple peut engendrer, dans les conditions optimales, vingt millions d’individus en trois ans! Une variété albinos du surmulot, le rat blanc, est utilisée dans les laboratoires. Dans cette même famille se classent: la souris (Mus musculus ), le minuscule rat des moissons (Micromys minutus ), qui construit son nid sur les tiges de céréales, le mulot (Apodemus sylvaticus ) très nuisible aux cultures.

Parmi les Muroidea , signalons les spalax, parfaitement adaptés à la vie souterraine. Ces animaux à allure de taupes, aveugles et dépourvus de pavillons auditifs, creusent des terriers très complexes dans les sols steppiques, de la Russie à l’Égypte.

Les hamsters habitent les steppes d’Europe et d’Asie; ils emmagasinent dans leurs terriers des quantités de nourriture pouvant aller jusqu’à 30 kg de grain. Le hamster doré, facile à apprivoiser, est aussi animal de laboratoire; il appartient au genre Mesocricetus ; son habitat d’origine s’étend des Balkans à la Perse.

Les campagnols et rats musqués sont des représentants de la famille voisine des Microtidœ ; ils sont du type fouisseur. Le rat musqué (Ondatra zibethica ), originaire de l’Amérique du Nord, construit comme le castor un terrier dont l’orifice est situé sous la surface de l’eau. Pour sa fourrure, recherchée en pelleterie, on a réalisé son élevage en Europe. Des individus évadés de ces élevages se sont acclimatés dans plusieurs pays européens, dont la France. Le campagnol des champs (Microtus arvalis ) et le campagnol agreste (M. agrestis ) sont des espèces très prolifiques qui peuvent pulluler certaines années.

Il en est de même pour le lemming (Lemnus lemnus ) des régions septentrionales d’Europe. Tous les neuf à onze ans, on constate en Scandinavie, pour des raisons complexes encore mal élucidées, des accroissements considérables de populations, suivis d’exodes massifs qui se terminent généralement par d’énormes hécatombes.

Toujours parmi les Muroidea , citons les Gerbillidea comprenant les gerbilles, bien adaptées au saut, et les mériones, qui construisent des terriers à deux étages; les uns et les autres habitent les régions arides africaines et asiatiques.

Trois autres superfamilles prennent place dans le sous-ordre des Myomorphes : les Gliroidea , les Dipodoidea et les Geomyoidea .

Les loirs, muscardins et lérots, animaux arboricoles ou rupestres à queue généralement touffue, sont des Gliroidea ; dans les pays froids ou tempérés, ils tombent en léthargie en automne.

Les gerboises sont les formes les plus typiques des Dipodoidea leurs membres postérieurs très développés sont remarquablement adaptés au saut. L’espèce la plus commune (Jaculus jaculus ) habite les régions subdésertiques d’Afrique du Nord et d’Arabie.

Signalons enfin: les gauphres américains aux vastes abajoues, qui construisent de complexes terriers, et les rats-kangourous de Californie; les uns et les autres sont rassemblés dans la superfamille des Geomyoidea .

Les Hystricomorphes

Le sous-ordre des Hystricomorphes compte cinq familles d’allure très différente.

Les Hystricoidea comprennent essentiellement les porcs-épics de l’Ancien Monde; leurs piquants (poils hypertrophiés) réalisent un sérieux moyen de défense.

Les Erythizontoidea sont les porcs-épics américains: le coendou, arboricole, possède une queue prenante.

Le représentant le plus connu des Cavioidea est le cobaye (Cavia porcellus ), d’origine sud-américaine, très utilisé dans les laboratoires. Dans cette même famille, citons les maras (Dolichotis patagonica ), qui creusent des terriers à l’aide de leurs griffes puissantes, et le cabiai (Hydrochoerus hydrochaeris ), grand Rongeur (jusqu’à 50 kg) des marais sud-américains.

La famille des Chinchillidae est surtout connue par le genre Chinchilla , dont la fourrure laineuse est si appréciée en pelleterie qu’il a sans doute disparu totalement des régions andines où on le chassait.

Les Octodontoidea sont représentés par des formes bien adaptées à la vie aquatique comme le ragondin (Myocastor coypus ) élevé en captivité pour sa fourrure, mais aussi par des genres terrestres comme Octodon .

D’affinités incertaines sont enfin les Dasyproctidœ , comprenant des Rongeurs hauts sur pattes, excellents coureurs, comme les agoutis (Dasyprocta agouti ) et les acouchys (Myoprocta acouchy ); on ne trouve ces espèces qu’en Amérique du Sud.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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